• Le ciel est bas, on le toucherait

    Une neige épaisse et collante tombe

    Noie le paysage

    Un homme, environ trente cinq ans, tordu, difforme, nu, se roule dans la neige

    Hurle, se griffe

    Saigne par ci par là

    Derrière, emmitouflées dans leurs parkas

    Les Aide médicales du centre le suivent

    Veillent sur lui

    Qu'il ne se fasse pas trop mal

    N'ayez pas peur madame, il va se calmer

    J'attends, je sais que cet homme blessé "m'aime"

    Dés ma prise de fonction il est venu

    A tenté de me dire des "choses"

    M'a serré dans ses bras

    M'a offert un tableau fait  pour moi à l'atelier peinture du centre

    Devant cette privation du langage, j'ai comme les autres membres de l'équipe appris à observer sa gestuelle ne le comprenant pas toujours

    Madame, essayez de l'écouter, il peut se mettre très en colère si on ne le comprend pas

    Alors dés qu'il m'abordait, je m'asseyais à coté de lui

    L'écoutais

    Tentais de percer son mystère

    En ce jour de froid et de neige

    Je le regarde venir

    Les villas peu distantes s'effacent du paysage dans tout ce blanc

    De son pas cadencé, agitant les bras dans tous les sens, portant son corps musclé et tendu

    Il entre dans la villa

    Je vais vers lui, me protégeant du désordre de ses gestes

    Son corps brillant de vapeur, de traces de sang et de neige s'affale à coté de moi dans la salle d'attente de mon bureau

    Il entreprend un immense discours dont je ne saisis rien

    Puis s'effondre

    A mes cotés

    On peut alors le couvrir et le ramener dans sa chambre

    Nous serions en hôpital psychiatrique (ou il a fait de longs séjours) 

    Il aurait eu droit à une intervention brutale (car le contenir nécessite violence et force) armée de seringue

    Suivie d' une léthargie médicamentée

    Ici, rien, on attend,

    La neige? le froid? les éraflures?

    Rien à coté des camisoles chimiques que l'on évite au maximum

    Je le retrouverai quelques heures après et il me prendra dans ses bras en riant

    Cet homme est un IMC (Infirme Moteur Cérébral)

    Enfermé dans un corps déformé

    Sans accès au langage

    Traité comme un "demeuré" d'institutions en institutions

    Il s'énerve quand on ne le comprend pas

    Seul mode d'expression possible

    Enervement spectaculaire certes

    Mais énervement entretenus par des années de mépris du corps médical et psychiatrique

    Qui n'a fait que se pencher sur ses agitations

    Les calmer à coup de seringues

    Lui si gentil, si doux (mais oui), si affectueux

    Qui ne ferait pas de mal à une mouche

    Capable de crises spectaculaires et inquiétantes

    Cet homme différent, si différent y compris des autres résidents de ce centre dont j'ai pris la Direction (une Maison d'Accueil Spécialisée lieu de vie d'une cinquantaine d'homme et de femmes handicapés moteurs et psychiques)

    Cet homme donc, fait preuve d'une compréhension des choses, des situations, du langage

    Méprisé et traité comme "idiot" il n'a pu développer son potentiel

    Enfermé dans ce corps mal fini

    Il n'a trouvé que ces énervements quand on ne le comprend pas

    Personne ne l'a aimé

    Abandonné par ses parents le bébé tordu et souffrant

    Passé institutionnel

    Et tant de choses à prouver, à dire et à faire

    Cet homme, nous (l'équipe médicale, éducative et psychiatre) déciderons de travailler à le sortir de ce centre vers une lieux plus adapté

    Où il pourra faire des activités

    Fréquenter des handicapés moins lourds

    Des gens qui comprennent (au sens de l'intelligence)

    Trouver écoute et communication

    Minimisant l'enfermement

    Et dés la formulation de ce projet avec lui il changera

    Il sera plus joyeux, souvent impatient de partir

    ça prendra une bonne année de travail avec lui

    Et de recherche du lieu idéal qui l'acceptera

    Il saura que l'acceptation de lui dans cet ailleurs

    Dépendra beaucoup de sa capacité à être "tranquille"

    Car pour ne plus être chez nous il lui faudra dépasser les frustrations et les crises

    Nous irons ensemble plusieurs fois dans ce lieu

    Accoutumance progressive

    Et j'aurai la joie et le bonheur de l'y accompagner lors de la sortie définitive de "chez nous"

    Les IMC ne sont ni crétins ni débiles

    Ils sont intelligents, comprennent

    Enfermés dans l'absence d'accès au langage

    Ont été maltraités par la médecine et la psychiatrie depuis des temps immémoriaux

    J'ai appris cela dans ce centre

    J'ai donc porté avec l'équipe son projet avec une énergie sans failles

    Il est sorti

    Prouvant que l'on pouvait passer d'une MAS (accueillant les handicapés les plus lourds à l'avenir souvent condamné) à un établissement ouvert, plus léger.

    Ce fut une belle fête pour son départ et une belle victoire.

    Pourquoi je vous raconte ça?

    Parce que je ne dors pas

    Et qu'hier cette histoire m'est revenue au cours d'une discussion avec des amis

    C'est tout

    Allez je vous la souhaite bonne cette fin de nuit.

     


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  • deux hommes... trois hommes et...

    En toute une vie

    Le journal Sud ouest publiait hier l'interview d'un couple qui fêtait ses 80 ans de mariage

    Oui oui, vous avez bien lu, 80 ans de vie commune

    Et chacun toute sa tête 

    Bon, moi,  même en cumulé je n'y arriverai pas!

    Ils se sont aimé toute leur si longue vie?

    Comment ont-ils fait?

    Un seul homme pour elle, une seule femme pour lui?

    Mystère

    Aimer est un mystère

    Aimer une seule fois???

    Encore plus 

    Plusieurs oui

    Mystérieusement aussi certainement

    Si différemment

    Le premier, amour de barricades 

    Le second, amour passion

    Le troisième,  amour  construction (famille enfant)

    Le quatrième amour de la maturité

    Oui tous aimés

    Pas d'erreur

    Pas juste quelques mois, au moins quelques années

    Tous dans un coin de mon cœur

    Rangés, pas par priorité, ni par durée, ni par....

    Un immense merci à celui qui me révéla à moi même 

    C'est de l'or

    ça forge l'avenir

    Aimer : aventure complexe

    Personnelle

    Unique

    Diverse

    Multiple

    Renouveau à chaque fois

    Découverte à chaque fois

    Emois et effrois

    Mais pourquoi n'aurai-je qu"un homme dans ma vie, il y en a tant sur terre

    Mais tu es infidèle alors

    Non jamais, au contraire, l'épisode de vie commune s'inscrit toujours dans la fidélité

    Alors tu es instable

    Peut-être, la lassitude s'installe parfois au bout de quatre ou cinq ans

    Tu te barres alors?

    Oui en général c'est moi qui me barre, tellement abandonnique que je devance l'appel

    T'as pas peur

    Oui j'ai peur, j'ai eu peur toute ma vie,  je n'ai été quittée qu'une fois, et la douleur qui s'en est suivie est gravée dans mon corps comme une immense plaie à peine couverte. Elle peut encore se rouvrir, me faire pleurer trente ans après

    On peut aimer plusieurs fois

    On ne s'épargnera jamais la douleur de la séparation

    On ne s'épargnera jamais la douleur des crises 

    On ne s'épargnera jamais la peur

    On y gagnera parfois (souvent, voir toujours) un immense soulagement (heureusement si non ça ne servirait à rien)

    A chaque âge de la vie

    A chaque période nouvelle

    La question peut se poser

    Qu'est ce que durer ensemble?

    Comment durer?

    Rester quand s'émoussent les choses? trouver la solution pour dépasser "l'emoussement", l'usure du quotidien et du temps.

    Comment ont-ils fait ceux qui ont duré?

    La fidélité était-elle au rendez vous?

    Comment ne pas céder à des émois passagers, des rencontres différentes quand est épuisé le désir?

    Le prix de la fidélité dépendrait de la capacité de mutation de "l'aimer"

    A l'époque il m'a trompée, nous avons traversé une crise longue, énorme, je ne pensais pas m'en sortir, je suis restée et aujourd'hui je sais que si c'était à refaire je ne resterai pas... (dixit quelqu'un que j'aime profondément, intensément)

    Ma mère (à 90 ans passés) en maison de retraite était aimé par un homme qui vivait à l'extérieur, régulièrement il lui faisait porter à l'accueil une rose rouge. A sa mort un petit mot était couché sur le livre de condoléances signé "L'homme à la rose"

    Histoire d'amour encore

    Pourquoi on aime?

    Comment on aime?

    Pourquoi on reste?

    Pourquoi on part?

    Regarder sa vie, ce que je fais souvent en ce moment, l'âge et la période veulent ça

    Oui regarder sa vie

    Ne pas regretter, 

    Ne jamais regretter

    Savoir qu'à chaque moment on a fait ce que l'on était capable de faire

    Que si c'était à refaire ce serait probablement pareil parce que les limites étaient là, invisibles, ancrées.

    Que l'on ne peut juger de ce passé avec les yeux d'aujourd'hui

    Partir fut une forme de courage

    Rester était  impossible

    Quand une fois j'ai décidé de rester c'était pour l'enfant, pour la famille construite, alors j'ai été quittée...

    Vous pensez quand même ces deux là qui sont mariés depuis 80ans?

    Et mes quelques amis couples stables depuis des décennies

    Aujourd'hui je regarde les séparations de mon fils

    Je souffre pour lui

    Mais il suit son chemin et rien n'est facile

    Elevée dans l'idéal de la famille unique et soudée qui pourrait noircir des pages

    Je sais depuis toujours que mon unique enfant traversera ce genre d'épreuve

    Aimer a un prix

    Quel prix

    C'est si bon aimer, être aimé

    Le soleil est levé, cette nuit une énorme lune éclairait ma montagne .

    Je vous souhaite un bon dimanche

     

     

     

     

     

     

     


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  • ... pour des contenus si précieux.

    Revu hier soir "Tout sur ma mère" de Pedro Almodovar

    (Toujours aussi émouvant ce film)

    Une scène me captive par son intensité : une équipe médicale traverse l'Espagne

    Pour aller greffer un coeur, celui d'Esteban 17 ans renversé par une voiture.

    Equipe au complet, marche d'un pas sur et déterminé dans les couloirs d'hôpitaux et d'aéroports pour porter la vie.

    Un membre de l'équipe trimbale une glacière bleue

    Vous savez celle de nos pique niques.

    En son sein, la vie réfrigérée, le précieux coeur

    Un contenant de cuisine, de loisirs mêmes, pour engendrer la vie

    Un vulgaire contenant de plastique bleu familier pour une chose si précieuse

    Si technique, si rare aussi.

    Et cette histoire également

    Nous sommes en 1982

    La courbe de température est au top

    C'est le moment

    Je téléphone

    Vous avez rendez vous avec votre gynécologue?

    Oui il m'attend

    Est-il à moins d'une heure de transport du CECOS?

    Oui

    Vous avez bien chez vous une bouteille thermos?

    Oui

    Alors vous venez avec, nous y mettrons les paillettes et vous irez directement chez votre médecin pour l'insémination, ça évitera d'immobiliser un container spécial.

    Ainsi les précieuses paillettes sont extraites de gros containers emplis d'azote

    Et à mon grand étonnement

    Déposées fumante d'azote dans ma bouteille thermos

    Et je repars

    Je n'ose pas secouer cette bouteille qui porte peut-être la vie de mon futur enfant

    Dans le métro je la serre contre moi

    S'il m'arrivait quelque chose

    Si elle tombait

    Si on me bousculait

    Et moi jeune femme si impatiente

    De la protéger 

    De veiller sur elle comme "le lait sur le feu" dirait ma grand mère

    S'ils savaient ceux qui m'entourent

    Ceux de la cohue parisienne

    Ils ne savent pas

    Que la banalité de cet objet préserve une vie

    Incroyable non?

    Après la naissance de mon fils, je garderai longtemps cette bouteille

    Ne pourrai pas m'en servir

    Sachant qu'elle participait à mon bonheur d'être mère

    Y remettre chocolat chaud ou café me parait incongru

    Déplacé

    Un jour de rangement des placards elle tombera et l'ampoule de verre à l'intérieur se brisera

    Je la jetterai

    Une glacière bleue et une bouteille thermos aux rayures en biais marron 

    Pour protéger des vies en devenir

    Merveilleux non.

    Je vous souhaite une belle après midi.

     


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  • A deux ou trois générations près

    Années 50/60

    Petite fille puis adolescente

    Ignorante du corps

    Dans les immenses WC du rez de chaussée de la maison

    La glace, trop haute, ne m'offre que mon visage

    Éducation sexuelle par les copines à l'adolescence

    Où se racontent interminablement, des expériences sexuelles fantasmée ou vécues  imprégnées de soumission.

    Où l'on attend les gestes du garçon

    Où l'on s'imprègne surtout de la peur de la grossesse

    Corps d'adolescente ignoré

    Pas regardé

    Mal regardé

    Maman tu les trouve comment mes jambes?

    Un peu épaisses, tu n'as pas assez de cheville, dans l'ensemble tu es plutôt bien mais dans les détails...

    Paroles assassines d'une mère exigeante, si peu affective.

    Corps douloureux

    Migraines régulières ignorées (depuis l'age de 5 ans, communément appelées crise de foie)

    Douleurs de règles limites du supportable également ignorées (Diagnostic d'endométriose enfin posé à l'age de vingt ans loin de la vie de famille ).

    Images de sexe absentes

    Petite fille se contenter pour imaginer le futur corps de femmes des pages lingeries du catalogue de La Redoute et des représentations de femmes sur les tableaux dans les musées.

    Penser fantasmes sexuels, inimaginable

    Préparation à la rencontre des garçons improbable

    Sexualité à débrider

    Mai soixante huit (saint mai soixante huit, quelle révolution...) et les premiers hommes de ma vie n'y aideront pas, à une exception près ,mais le MLF comblera ces lacunes avec ses groupes de paroles de femmes.

    Années 2020

    Enfants puis adolescents informés

    Sur informés, mal informés

    Connaissent tout des corps et de leur fonctionnement

    L'éducation nationale y pourvoit

    Sachant qu’aujourd’hui 30% des adolescents visionnent des films porno au moins une fois par semaine

    Et que tous ont eu accès au moins une fois à la pornographie

    Construisent leur vie sexuelle avec ces modèles en tête

    Mon copain exigeait que je lui fasse une fellation tous les matins au réveil, je le faisais je pensais que c'était ça la vie de couple (une ado interviewée)

    Que faisons nous?

    Que disons nous?

    Nous les laissons se dépêtrer de tout ce qui nous a peut être embarrassé

    Et informés (mal informés) ou pas du tout

    Le résultat est le même

    La sexualité doit trouver son chemin et passe encore  par une certaine soumission des femmes

    Jusqu'à ce qu'elles se découvrent enfin une vie sexuelle et affirment peurs et  désirs

    Les choses avancent lentement

    Et à y regarder de près le résultat à trois générations n'est pas si différent

    Avant le silence préparait les femmes à leur soumission sexuelle

    Aujourd'hui la sur et mal information fait de même

    Gageons que les mouvements "me too" et autres permettent ce qu'en d'autres temps le MLF a autorisé.

    Et que le changement est long, si long et semé d'embuches personnelles (histoires singulières) et collectives (approche de la pornographie entre autres)

    Temps variable après orages

    Je vous souhaite une belle journée et la réalisation de nombreux et joyeux fantasmes

     


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  • Avec

    Danglard

    Retencourt

    et les autres

    Dans une aventure drôle, inventive

    Se retrouver comme en famille

    Bonheur pur

    Inventivité au rendez vous

    Fantaisie

    Personnages improbables

    Enigme autour d'un Chateaubriand ressuscité

    Village embarrassé par les ombreurs et ombreuses (ceux qui marchent sur votre ombre créant un mauvais sort)

    Si tôt sur les étals des librairies, si tôt acheté

    Immédiatement laissés tomber les autres en cours de lecture

    Plongée dans un monde fantaisiste, familier

    Se retrouver, les retrouver tous

    Comme une famille oubliée depuis "Quand sort la recluse" 2018

    Je m'y sens bien dans ces romans

    Connaissant chaque personnage

    Les trouvant inchangés

    Attendant leurs actes surprenants et efficaces

    Bref j'adore

    Le saupoudrage de l'écriture (attendre 5 ans) vaut le l'or

    On l'attend, on sait qu'il viendra

    Qu'on le retrouvera

    Certains esprits chagrins diront que celui ci ou celui là n'est pas à la hauteur

    Mais non et même si...

    Connaissez vous un.e auteur.e qui n'ait produit que des chefs d'œuvres

    Non

    Alors tous lus sans défailir

    Et merci à Fred Vargas pour ce très beau, très drôle, très inventif "Sur la dalle"

    Et je vous le dis

    Lire ce livre, là haut à ma montagne

    C'est le rêve, l'oubli des réalités quotidiennes dramatiques

    La vie ressuscitée, les mythes remis à l'ordre du jour

    Soleil et nuages en perspective

    On fera avec

    Je vous souhaite un bon lundi

     

     

     

     


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