Faire connaissance avec quelqu'un que vous côtoyez depuis une trentaine d'année

Drôle de chose

C'était hier

S. habitante du hameau depuis 1974

Fait partie de notre paysage depuis notre arrivée dans la petite maison de montagne

Lors de nos premières années

Elle passait devant la maison dans sa combinaison d'apicultrice

Vers les ruches juste au dessus de nos têtes

Au retour elle criait

Rentrez je passe, les enfants attention

Et elle passait suivie de quelques énergumènes volants n'ayant pas gouté son intervention dans le rucher

De temps en temps elle nous faisait gouter le pollen frais

Amère ou sucré, humide, un peu pâteux

Doué de mille vertus

Et nous achetions ce miel au doux nom de Miel de Sarradère

Nous rapportions en ville des effluves montagnardes

Comme un trésor

Du miel de là haut, de chez nous

Puis vint le temps de l'abandon des ruches après de sinistres disputes de voisinage (pas nous bien sur)

Elle ne passa plus devant la porte

Vécu comme toujours dans sa petite maison chichement aménagée,dans l'autre partie du hameau

Seule en dehors des visites d'un erratique compagnon

Un temps elle fit des vacations à la poste

On la voyait alors avec la voiture de la poste sillonner les routes de montagne

ça aussi cessa

Petite, à peine ronde, vêtue de gros pulls et de jean incolores

Le cheveux blond blanchissant coupé court,

Elle faisait partie de notre paysage

Elle avait veillé sur Edgard notre bouquiniste décédé l'année dernière

Elle venait au repas annuel du hameau avec ses salades composées de récoltes de son potager

Il fallut beaucoup de persuasion pour qu'elle accepte de stériliser ses chats qui faisaient leurs portées dans notre grange. On voyait alors quelques temps après la mise bas la chatte suivie de ses chatons trop grands pour être éliminés. il y avait prolifération.

Discussions au cours de croisements sur le chemin, ou lors d'un café chez d'autres amis étaient nos relations.

Je ne sais pas comment elle vit (L. sa première voisine)

Moi non plus, c'est assez mystérieux

Non, elle ne sort pas, recluse et pourtant très sociable

Toujours souriante, la voix enrouée, un accent "du nord"

Ici le nord commençant au dessus de la Garonne, c'est vaste.

En fait, normande d'origine et parisienne

C'est le manque de bois qui nous a rapproché. Didier nous ayant fait défaut (vous savez notre Didier victime d'une dépression sévère)

Je ne savais où me fournir, où trouver le livreur qui accepterait notre route

Difficile

Elle avait trouvé

Je  l'appelais donc pour avoir les coordonnées de ce vendeur et lui proposer d'être dépositaire de notre clef de secours (pas de rapport avec le bois évidemment)

Et nous avons pris le café chez elle dans sa petite maison au dépouillement étrange.

Tout du bois de châtaignier, les cloisons, le parquet, les meubles de cuisine

Une table ronde, quatre chaises, un poêle à bois logé dans l'immense cheminée, un piano, un grand bureau avec ordinateur, des enceintes volumineuses accrochées au murs. Son univers avec deux chats

Pas de WC

J'ai un seau que je vide tous les jours sur mon compost

Tu ne veux pas de toilettes sèches?

C'est pareil il faut vider moi je suis habituée comme ça, c'est plus pour les gens qui viennent que c'est dérangeant. faire une fosse septique c'est trop cher (10 à 15000€) moi je vis très bien comme ça même si je vieillis, ce sera pour les suivants, la fosse...

La douche et la cuisine sont reliées à un bac à graisse puis l'eau part dans un puisard

Café italien servi dans de jolis petits gobelets en céramique japonaise, je décline l'invitation à manger du chocolat. le café est déjà une épreuve pour mon estomac. Et nous parlons de tout, de rien de nos vies (elle fut navigatrice et géopgraphe) de la pandémie

moi ça ne me change rien le confinement sauf que je ne vais plus à Paris voir ma sœur, et ça c'est dur, depuis un an.

Nous parlons de nos maisons, de mon fils

Je me souviens de lui petit quand il venait par ici, la je l'ai entrevu

Oui et A. lui se souvient de mon fils petit venant chez lui regarder les matchs de rugby, c'est lui qui lui a donné le gout de ce sport

Parlotte d'une heure, bien assez pour elle et comme si nous étions déjà si proches, de l'affection et beaucoup d'empathie.

Notre clef a rejoint celle d'A. et L dans une petite boite rouillée, rangée dans un buffet dans l'arrière cuisine.

Avec ça j'ai l'impression moi aussi d'être un peu d'ici.

Ce matin, froid soleil d'hiver, neige juste au dessus. Attendons livraison d'un stère de bois tout ce que notre vendeur a réussi à sauver. Trouver du bois sec et livré c'est pas gagné, alors celui là (de vendeur) on va essayer de se le garder pour l'année prochaine.

Puis retour sur Pau.

Confinera? confinera pas?